les grandes portes
 

     Les mots ne naissent plus de la plume qui écrit noir. La main qui la tenait s'est refermée sur la porte de la lumière. Qu'y a-t-il derrière cette porte invisible aux transparences de cristal et aux opacités de bronze ?

     La main qui tient la porte n'ose pas ouvrir les deux battants tout grands vers ce corps d'homme qui la prolonge. Eut-il fallu pousser, la chose en aurait été plus aisée et le bras se serait peut-être rué dans ce bain infini de tourbillons de chaleur. Mais il faut tirer, amener la porte à soi, il faut prendre et garder. Qui sait ? voler la clé à ce passant aux yeux tristes qui lui aussi regarde la porte avec ses poings serrés au fond des poches.

     Il faut tirer à soi, absorber tout le poids du bronze, tout le poids du monde, pour entrevoir le pays des couronnes de lumière ; les pieds enracinés sur un sol de boue, il faut s'arc-bouter sur la poignée ronde et chaude de la porte et tirer jusqu'au souffle court et sifflant, tirer jusqu'au sang répandu, jusqu'au seuil de la mort du réel visible.

     Ne pas avoir la tentation de poser sa joue sur cette surface tiède et infiniment paisible, ne pas s'agenouiller devant la divinité de la porte. Vaincre. Suer sa peur de lumière. Déposer au sol la mort qui voûte les épaules et se dresser, nu de toute pensée d'avenir devant ce seuil terrible. Et la porte s'ouvre, doucement, tout doucement avec de tout petits grincements de rouille réveillés. Elle n'a pas l'habitude d'être ouverte la porte. Seulement regardée, effleurée, adulée. Mais pas ouverte. Les hommes ne savent plus ouvrir une porte qui ne se repousse pas, et ils s'y heurtent, sans comprendre pourquoi cette porte est là, inutile barrage à la lumière. Les hommes ne savent plus que marcher droit devant eux sur le pont de la lumière perdue, les yeux braqués vers les étoiles, ou vers le sol lisse et uni des temps, cherchant vainement le petit caillou où pouvoir trébucher. Ils ne voient pas la porte de bronze transparent qui marche devant eux, qui se retourne quand ils se retournent, qui se couche sur eux au jour de la dernière nuit, ils ne voient plus le mur lisse qui les isole de la lumière. Et ils marchent.

     Et la porte s'ouvre pour qui la tire doucement, tout doucement, et le rêve des alchimistes devient réalité et le futur se dessine, ligne droite, verticale dressée sur la face invisible du monde. J'ai vu la lumière frapper l'homme de son poing terrible et l'homme se tordre de douleur et d'effroi devant son futur dessiné. J'ai vu l'homme refuser la vie et rester larve d'homme.

     Que la lumière nous brûle qu'elle consume la moindre parcelle de nos corps emmêlés qu'un seul être palpitant et tendu vers l'ailleurs naisse de notre déshabitude de nuit, que les spires formidables de la tempête nous emportent au sein des mondes en fusion et nous noient, mais que la lumière ne s'éteigne plus, qu'elle continue à briller de son éclat fauve.

    Que la porte reste à jamais ouverte.
 

michel aurin

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